La vie sur le fil
Pour les cordistes, le fil est synonyme de corde de vie, d’outil de travail, de lien entre les personnes.
Le métier est défini par la réalisation de travaux en hauteur en suspension sur une corde. La nature des missions et des environnements varient énormément. En ville, ce sont généralement des opérations de rénovation d’immeubles ; en milieu naturel, cela consiste à la sécurisation de falaises pour éviter les chutes de pierres ; en milieu industriel, cela peut aller jusqu’à l’entretien de cheminées ou de silos à grain.
Ce projet s’inscrit dans différentes régions de France (Finistère, Ile-de-France, Savoie) entre novembre 2022 et avril 2023 à la rencontre de ces travailleurs afin d’évoluer avec eux sur leur terrain et de comprendre leurs problématiques vécues au quotidien.
Ils vivent souvent plusieurs mois par an loin de leur famille, en autonomie dans leur camion aménagé ou camping-car. Pour la grande majorité, ce sont des intérimaires de longues dates.
Actuellement la profession n’est pas reconnue comme telle par le ministère du Travail. L’association « Cordistes en colère, cordistes solidaires » milite pour la reconnaissance du métier et la réduction des accidents au travail. Durant les différents rassemblements organisés par l’association, les membres et les familles de cordistes endeuillées s’entraident et se soutiennent.
Par moments, la vie ne tient qu’à un fil.
Finistère, Ile-de-France, Savoie, novembre 2022 à avril 2023
Les cordistes, en milieu urbain, évoluent principalement sur les toitures et les façades des immeubles. L’accès aux toits de Paris ouvre de nouvelles perspectives sur la ville.
Pedro, chef de chantier, prépare les cordes de sécurité et le matériel pour l’évolution des cordistes JB et Guillaume sur la façade de la cour intérieure de l’immeuble.
Chaque chantier s’effectue en binôme. Vanessa et Johan installent leurs matériels sur le toit pour la réalisation des opérations prévues pour la journée.
Les opérations manuelles comme le perçage peuvent être complexes et physiques lorsqu’elles sont réalisées en suspension dans le baudrier au-dessus du vide.
Vanessa, cordiste intérimaire dans la région Bretagne depuis 3 ans. Environ 2% des cordistes sont des femmes soit environ 100 femmes pour 5 000 travailleurs réguliers.
Lors des chantiers en milieu naturel, il faut être prêt à travailler dans toutes les conditions météorologie. En mars, la température descend proche du zéro au petit matin. Cédric prépare le café pour ses collègues avant de démarrer leur journée.
Le chantier est une falaise d’une centaine de mètres surplombant la route qui longe le lac du Bourget. En dessous, la circulation est bloquée durant toute la durée d’intervention des cordistes. Les chutes de pierres sont fréquentes lors de leurs déplacements en haut de falaise.
Nelle, diplômée CQP1 cordiste (Certificat de Qualification Professionnelle de niveau 1) depuis quelques mois, prépare les grillages en acier avant leur pose sur la falaise. Elle est la seule femme du chantier sur la vingtaine de cordiste.
La falaise en cours de sécurisation avec la mise en place de grillages en acier sur environ 1 km de route.
Baptiste en intervention sur la pose du grillage. Il assemble les deux panneaux entre eux à l’aide d’une agrafeuse pneumatique.
Les journées sont longues sur le chantier et les pauses sont rares durant les 8 heures de travaux sur la falaise avant l’ouverture de la portion de route.
Après une longue journée, Cédric et Tim se retrouvent autour du camion aménagé de Tim pour boire un verre et discuter pendant plusieurs heures.
À la tombée de la nuit, le parking du stade communal est utilisé comme aire de camping pour une dizaine de cordistes qui vivent en communauté pendant la durée du chantier.
Les membres de l’association « Cordistes en colère, cordistes solidaires » (Eric, Grégory, Julien, Pierre et Stéphane) préparent la réunion du lendemain avec des responsables de la Direction Générale du Travail pour parler de la reconnaissance du métier et les conditions de sécurité. En 2023, il n’y a pas de code APE (Activité Principale Exercée) qui encadre et structure le métier.
Grégory, cordiste de profession et membre actif de l’association lors de la manifestation pour la journée de la santé devant le ministère du Travail.
Une plaque commémorative à la mémoire des collègues morts au travail a été installée par les membres de l’association dans les catacombes de Paris, normalement interdites d’accès. Depuis 2006, 33 cordistes ont trouvé la mort dans le cadre de leurs activités.
Dominique et Maryse ont perdu leur fils Sébastien le 3 janvier 2023 dans un accident de travail sur corde. La douleur est encore vive lorsqu’ils retrouvent les membres de l’association pour un rassemblement devant le ministère du Travail.
En suspension au bout du fil, la cordiste prend des allures d’équilibriste.